la voie du nord

[ANDY]

Les bateliers « au bord du gouffre » bloquent la navigation à Dorignies
mardi 27.04.2010, 05:05 - PAR MÉLANIE DÉMAREST
Jacques Delhay et ses confrères mariniers n'ont pas l'intention de baisser les bras. PHOTO ÉMILIE DENIS. | MOBILISATION |
Les bateliers se sont de nouveau réunis hier dès six heures du matin, afin de bloquer la navigation à Dorignies. Amarrées les unes aux autres, les péniches empêchent pour le moment tout passage, et ce pour une durée illimitée. L'action fait suite à celle entamée mardi dernier contre une « exploitation forcenée du transport fluvial ».

Ils avaient prévenu. Sans nouvelles satisfaisantes de la part des services de l'État, les mariniers prévoyaient de bloquer les frontières franco-belges et les gros accès, Dunkerque et Paris notamment. Eh bien, c'est chose faite, depuis hier matin. Ils dénoncent une nouvelle fois le travail à perte. Réclamant un seuil légal de rentabilité en dessous duquel ils n'auraient pas le droit de travailler, et applicable sur l'ensemble du territoire européen.
Les bateliers sont unanimes : sans amélioration rapide, le transport fluvial risque de disparaître. « On n'a aucune limite pour cette mobilisation. De toute façon on part de l'idée que pour aller droit dans le mur en se battant ou droit dans le mur en travaillant, autant se battre et aller jusqu'au bout. » Et le risque est réel. Christophe le sait bien puisqu'il en a fait les frais. Après trois années de transports avec son épouse et leur bébé, sur sa péniche longue de 77 mètres (soit 1 100 tonnes), il a déposé le bilan début mars. « On n'arrivait plus à suivre, confie-t-il. On a tout mis dans le bateau. Avec la baisse de fret, et un problème mécanique qui s'est ajouté à ça, la banque n'a plus voulu suivre et il a fallu arrêter. »
Le jeune homme, qui a retrouvé un travail dans une péniche, mais cette fois en tant qu'employé, regrette juste de « ne pas avoir commencé la mobilisation plus tôt... » Il craint à présent que la même chose arrive à bon nombre de ses confrères dans les mois à venir. C'est pour éviter cela qu'Albert participe au mouvement. Bateliers de père en fils depuis trois générations, il n'entend pas baisser les bras si facilement. Après avoir commencé avec un petit bateau de 38 mètres, son épouse et lui ont investi il y a près de quatre ans dans une péniche de 67 mètres de long (soit 900 tonnes). « On essayait de faire progresser notre entreprise, avec le but d'acheter un bateau encore plus gros par la suite. Mais on a complètement oublié ce projet, glisse le marinier, déçu. Je n'ai pas de maison, j'ai tout investi dans la péniche. Si les choses n'avancent pas rapidement, je ne me donne pas quatre mois avant de mettre la clé sous la porte... »
Jacques Delhay a lui aussi toujours vécu autour des canaux. Après s'être lancé dans la batellerie, il a fait le choix de créer son entreprise de tourisme fluvial dans le canal du midi. Ce n'est qu'à quelques années de sa retraite qu'il a voulu reprendre du service, avec sa péniche de 900 tonnes. « J'avais envie de me replonger dans la navigation, j'en avais même besoin. Je m'étais promis de profiter de ces années cool... Je n'avais pas prévu cette mise à mort de la batellerie qu'on connaît depuis 2009. » Selon lui, les 4/5e de la profession risquent de plonger si rien ne change. « Une grande partie est déjà au bord du gouffre... » •